Cet été, un ami breton m’a demandé s’il pouvait emprunter mon exemplaire de L’Affinité des traces, sitôt sa lecture achevée, je lui ai proposé de venir parler ici de son ressenti, ce qu’il a fait avec beaucoup de plaisir, il avait beaucoup aimé, à son tour, ce très beau roman….
Ce dernier roman est celui que je préfère avec « L’Ordre des jours » et je vais maintenant essayer de vous dire pourquoi.
Les premières pages sont éblouissantes. C’est une véritable fresque que l’auteur peint où le fond du décor est planté dans un désert sublimé:
« Indifférent aux âmes humaines, tourments, espoirs, et tourments de l’espoir lui-même, le désert pèse son impassible sommeil« .
Alors qu’elle est entourée de gens qui lui veulent du bien, Edith est happée par une irrépressible volonté de fuir: « Elle ignore le chemin et la destination, mais elle sait qu’elle est du voyage et que personne ne lui ôtera le gouvernail des mains« . Le thème de la destinée éclate de nouveau et je me demande si à travers Edith l’auteur n’a pas cherché à questionner (inconsciemment) le lecteur sur l’idéal de la terre promise, plaçant le récit dans le champ quasi philosophique sans prosélytisme aucun.
La destinée du peuple juif, à travers Edith, interroge sur sa propre destinée. Seule la littérature provoque ces questionnements intimes, parfois sans que l’auteur le veuille. En tout cas Edith n’a pas grand mal à se laisser guider par la providence, jusqu’à passer un concours pour devenir PFAT (prononcer péfate, « personnel féminin de l’armée de terre », un mot un tantinet machiste entendu dans l’armée jusque dans les années 90). Il convient de souligner une nouvelle fois l’exactitude des descriptions dans cette phase du roman et Gérald Tenenbaum arrive à restituer en deux pages à peine l’ambiance réelle d’un recrutement dans l’armée. A partir de là Edith se laisse guider par la force des choses car les affectations ne se refusent pas en cette fin de guerre d’Algérie.
L’arrivée de nuit, après un voyage en Noratlas, dans un camp miltaire du Sahara vaut un arrêt sur image: « L’immobilité et la pesanteur du temps émergent soudain, indissociablement liés: on y est, on est là, c’est ici. ».
« Quand on part pour une semaine on se charge beaucoup trop, mais quand on part pour la vie, on va sans peine à l’essentiel« .
Mais la vie d’Edith est dramatique et, si son destin avait pris une autre voie, elle est rattrapée par la « malédiction » mais finalement il reste l’Espérance. Au lecteur de la découvrir.
Comme tous les grands romans, L’Affinité des traces est une histoire qui appartient complètement à l’auteur mais aussi s’inscrit dans l’air du temps en intégrant les turpitudes contemporaines. Je suis sorti de ce livre avec beaucoup d’interrogations, tant sur l’Histoire de la guerre d’Algérie jusqu’à aujourd’hui, que sur la destinée individuelle. Et dans les deux cas tout dépend de choix, de décisions personnelles que l’on ne prend pas complètement en toute liberté, que ce soit le général De Gaulle ou Edith.
Ce livre contient un message d’espoir sur l’intégration de personnes différentes au sein de cultures aux coutumes marquées et un message tout court aux hommes politiques actuels afin de mieux appréhender la complexité géopolitique du Maghreb et partant celle du Machrek qui partage la même langue et l’Islam. Ce qui se passe au Niger et plus largement en Afrique avec ACMI, trouve en vérité de profondes racines dans des décisions prises en mauvaise connaissance de cause faisant fi des peuples Touaregs, Bédouins… La question de la place des touaregs aujourd’hui parait beaucoup plus importante que le floklore le laisse penser. Pour éradiquer le mal terroriste en Afrique du nord, il ne faut pas soigner les symptômes mais trouver les causes et je partage avec G. Tenenbaum l’idée implicite que les peuples errant du désert sont une clé pour dénouer la situation d’aujourdh’ui.
Cette adéquation du récit à la réalité fait assurément de l’Affinité des traces un roman d’actualité qui mérite toute sa place en cette rentrée littéraire de septembre sans oublier sa valeur littéraire intemporelle.
Cyrille
Un grand merci, Cyrille, un grand merci également à Benoit pour avoir accueilli mon exemplaire voyageur cet été et en avoir si bien parlé sur son blog : Guide de Lecture, ICI .
Cet exemplaire voyageur ne demande qu’à voyager encore un peu plus loin !