L’Affinité des traces @ Gérald Tenenbaum

Cet été, un ami breton m’a demandé s’il pouvait emprunter mon exemplaire de L’Affinité des traces, sitôt sa lecture achevée, je lui ai proposé de venir parler ici de son ressenti, ce qu’il a fait avec beaucoup de plaisir, il avait beaucoup aimé, à son tour, ce très beau roman….

 L’Affinité des traces est le dernier roman de Gérald Tenenbaum publié aux éditions H. d’Ormesson. Je souhaite vivement que ce livre ne soit pas submergé par la déferlante de septembre aussi je remercie Lily de publier ce billet  fin août afin de rappeler ce très beau roman au bon souvenir de ceux qui sont en quête de vraie littérature. Vraie littérature car l’écriture de Gérald  Tenenbaum est singulière, reconnaissable entre toutes, témoignant d’un style affirmé qui se propage dans chacun de ses livres, alliant poésie et narration. Ce n’est pas un auteur qui se cherche mais bien un écrivain qui s’est trouvé.

Ce dernier roman est celui que je préfère avec « L’Ordre des jours » et je vais maintenant essayer de vous dire pourquoi.

Les premières pages sont éblouissantes. C’est une véritable fresque que l’auteur peint où le fond du décor est planté dans un désert sublimé:
« Indifférent aux âmes humaines, tourments, espoirs, et tourments de l’espoir lui-même, le désert pèse son impassible sommeil« .

 L’extrême précision et concision des descriptions est pour moi une ode au désert qui souffre autant que les hommes et le lecteur est emporté. On reconnait là la force de l’écriture de Gérald Tenenbaum, une capacité à trouver les mots justes, juste les mots dont certains en langage touareg: « …les rires des enfants attendant le quatrième thé, aghamar.« 
Mais alors que le lecteur s’attend à poursuivre le roman sur un mode onirique, il n’en est rien, il y a rupture de temps et de lieu pour aller vers une autre rupture, cette fois dans la vie de l’héroïne du roman. L’histoire revient ainsi à Nancy, dans les années 60, pour narrer le périple d’Edith, jeune femme juive dont les attaches sont dissoutes et les amarres fragiles : « Quand le passé refuse de s’estomper, c’est le présent qui vacille« .
Une nouvelle fois je suis épaté par le travail de fond de l’écrivain qui ne laisse rien au hasard et le hasard il connait! Cela transpire dans l’atmosphère parfaitement restituée de cette période, avec ce style d’écriture fait de phrases courtes et de références choisies, comme celle à Françoise Sagan qui a marqué cette époque et Edith: « La tristesse, c’est comme la nostalgie, sauf que le regard qu’elle porte n’a rien où s’accrocher. ».

 Alors qu’elle est entourée de gens qui lui veulent du bien, Edith est happée par une irrépressible volonté de fuir: « Elle ignore le chemin et la destination, mais elle sait qu’elle est du voyage et que personne ne lui ôtera le gouvernail des mains« . Le thème de la destinée éclate de nouveau et je me demande si à travers Edith l’auteur n’a pas cherché à questionner (inconsciemment) le lecteur sur l’idéal de la terre promise, plaçant le récit dans le champ quasi philosophique sans prosélytisme aucun.
La destinée du peuple juif, à travers Edith, interroge sur sa propre destinée. Seule la littérature provoque ces questionnements intimes, parfois sans que l’auteur le veuille. En tout cas Edith n’a pas grand mal à se laisser guider par la providence, jusqu’à passer un concours pour devenir PFAT (prononcer péfate, « personnel féminin de l’armée de terre », un mot un tantinet machiste entendu dans l’armée jusque dans les années 90). Il convient de souligner une nouvelle fois l’exactitude des descriptions dans cette phase du roman et Gérald Tenenbaum arrive à restituer en deux pages à peine l’ambiance réelle d’un recrutement dans l’armée. A partir de là Edith se laisse guider par la force des choses car les affectations ne se refusent pas en cette fin de guerre d’Algérie.

L’arrivée de nuit, après un voyage en Noratlas, dans un camp miltaire du Sahara vaut un arrêt sur image: « L’immobilité et la pesanteur du temps émergent soudain, indissociablement liés: on y est, on est là, c’est ici. ».

J’ai beaucoup aimé la manière dont l’auteur détaille la découverte par Edith de son lieu de vie et les personnes qui l’entourent à nouveau. L’essentiel seulement est décrit et en quelques lignes on se fait une idée précise des personnages. Ce capitaine Lombard qui, sous la plume de l’écrivain, devient l’archétype du narcissique agissant pour son seul bénéfice. C’est l’apanage de l’écrivain que de décrypter ainsi le plus profond de l’âme humaine sans pour autant avoir compulsé d’ouvrages psychanalytiques sur le sujet. Le colonel, supérieur direct d’Edith, est plus humain et quelque peu désabusé. Cela sonne très juste, comme l’infirmerie du camp militaire qui reçoit en soins des autochtones, source d’une rencontre inattendue pour l’héroïne avec Mariama, femme touarègue dont la vie aussi va basculer. S’en suit une remarquable partie sur les essais nucléaires du Sahara jusqu’à l’accident de Beryl ou le ministre de la Défense de l’époque finit nu sous la douche de décontamination: « tout le monde passe à la douche, décapage au savon Dermacide pour les gradés, Teepol, détergent multiusages pour les hommes du rang. ».
Le roman glisse alors vers le coeur de l’histoire, après la rencontre, c’est le départ d’Edith avec ceux dont elles va suivre les traces en épousant le désert et leur culture:
« Quand on part pour une semaine on se charge beaucoup trop, mais quand on part pour la vie, on va sans peine à l’essentiel« .
Petite fiancée du désert, Edith va changer de nom et « grandir » sous les traditions touarègues. On se laisse alors prendre par la métamorphose d’Edith devenue Talyat : »Talyat: celle qui est comme. » et l’aventure qu’elle vit : « Tout cela était écrit, ce qui se passe ici est inédit. Quand la vie vous force à tourner la page, il n’y a pas à s’étonner de la trouver blanche« .

Mais la vie d’Edith est dramatique et, si son destin avait pris une autre voie, elle est rattrapée par la « malédiction » mais finalement il reste l’Espérance. Au lecteur de la découvrir.

Comme tous les grands romans, L’Affinité des traces est une histoire qui appartient complètement à l’auteur mais aussi s’inscrit dans l’air du temps en intégrant les turpitudes contemporaines. Je suis sorti de ce livre avec beaucoup d’interrogations, tant sur l’Histoire de la guerre d’Algérie jusqu’à aujourd’hui, que sur la destinée individuelle. Et dans les deux cas tout dépend de choix, de décisions personnelles que l’on ne prend pas complètement en toute liberté, que ce soit le général De Gaulle ou Edith.
Ce livre contient un message d’espoir sur l’intégration de personnes différentes au sein de cultures aux coutumes marquées et un message tout court aux hommes politiques actuels afin de mieux appréhender la complexité géopolitique du Maghreb et partant celle du Machrek qui partage la même langue et l’Islam. Ce qui se passe au Niger et plus largement en Afrique avec ACMI, trouve en vérité de profondes racines dans des décisions prises en mauvaise connaissance de cause faisant fi des peuples Touaregs, Bédouins… La question de la place des touaregs aujourd’hui parait beaucoup plus importante que le floklore le laisse penser. Pour éradiquer le mal terroriste en Afrique du nord, il ne faut pas soigner les symptômes mais trouver les causes et je partage avec G. Tenenbaum l’idée implicite que les peuples errant du désert sont une clé pour dénouer la situation d’aujourdh’ui.
Cette adéquation du récit à la réalité fait assurément de l’Affinité des traces un roman d’actualité qui mérite toute  sa place en cette rentrée littéraire de septembre sans oublier sa valeur littéraire intemporelle.

Cyrille

Un grand merci, Cyrille, un grand merci également à Benoit pour avoir accueilli mon exemplaire voyageur cet été et en avoir si bien parlé sur son blog : Guide de Lecture, ICI .
Cet exemplaire voyageur ne demande qu’à voyager encore un peu plus loin !

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